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Le polar de Lynda

Publié le par Marie-Christine Gyres

Le polar de Lynda

Grand zoom sur la cité des Peupliers. Des tours à perte de vue. De ces tours, on voit au loin les lumières de de la ville et celle de la tour Eiffel. L'objectif avance. Zoom sur mon immeuble.

Je l'aime, normal ! J'y suis née. J’y ai passé ma vie. Je traverse ce hall tagué de mots et de dessins obscènes. Ils traduisent le désespoir de ces jeunes oubliés. Au fur et à mesure que je descends, se mélangent d'abord des odeurs de cuisines, d’épices différents, la fumée des joints, des bières renversées, de l’urine, des dégradations et j'en passe. Et c’est ainsi.

Je m’appelle Manel, et j'ai 21 ans. Je vis avec mes deux frères aînés ainsi que notre petite sœur. Mon père, en pré-retraite à cause d’un accident du travail reste le pilier de la maison. Il a travaillé dur pour que nous étudions et possédions une grande intégrité.

Il nous a dit de respecter la loi, car nul n'est censé l'ignorer. Ma mère, mère nourricière, son plus grand plaisir, nous voir grandir grâce à une table toujours garnie. Je suis la cadette de la famille. Nous avons tous neuf à dix mois de différence. Mon père n'a pas chômé, ma mère a bien trimé.


Le temps passe, marqué de petits bonheurs et de grands malheurs : la mort d'un jeune adolescent, le suicide d’une fille meurtrie par la vie et plus encore. Il y a monsieur Cornier qui radote sur la guerre d'Indochine où il a reçu deux balles. Il en est fier et arbore ses médailles.

C'est devenu un gros con de facho, toujours à la fenêtre, prêt et désireux d’utiliser son vieux fusil.


Nous vivons toutes communautés confondues. C'est très enrichissant, un voyage à travers les tenues colorées des africaines, les même couleurs enchanteresses des saris indiens, le respect des croyances de chacun, arrêtez de stigmatiser le port du voile !


Ce jour-là, je rentre de Paris vers 19 heures à la maison. J'ai passé la journée à déposer des CV dans beaucoup d'agences d'intérim. Ma mère est en pleurs. Dina, ma petite sœur l'embrasse, lui parle doucement. Mon frère Anis, le visage très soucieux fait les cent pas. La police criminelle est venue à la maison. Ils cherchent mon frère aîné Momo. Il aurait participé à un braquage à Biarritz. Ils ont dit que si on le voyait, il fallait qu'il se présente de suite au commissariat. Ils ont tout vu sur les caméras vidéo de la bijouterie, lui et ses deux complices. Ils ont lancé un avis de recherche. Sa peine serait réduite s'il se présente de lui-même. Ils ont soulevé leurs casquettes pour nous dire au revoir.

Mon père le visage fermé reste calme, se retire, sûrement pour réfléchir. Sa décision sera sans appel concernant Momo. Il est trop intègre. On ne voit pas mon frère aîné durant une semaine. Mais, chez nous la mère c’est le plus important, c'est écrit dans le coran. Alors en cachette de mon père, Momo la voit chaque jour à ses risques et périls, quelques minutes pour l'embrasser et lui demander pardon. Mon père se doute de cela. Il jure par tous les saints qu'il a trouvé une solution afin qu'il paye sa dette à la société. Mon père ne cesse de nous balancer " hein! Voilà! Nul n'est censé ignorer la loi. Je vous l'ais tellement répété ".


Un jour, je rentre du lycée, par un froid hivernal. La nuit est tombée, un jeune homme me bouscule. C'est Bilel. Je le sais, c'est l’un de ses complices, y a des rumeurs qui circulent. C'est un copain de Momo. Il a peur d'avoir été vendu par mon frère. Il me menace pour que mon frère se manifeste. J'ai peur. Je lui dis que demain, je l'informerais. Merde, alors. Je cours parler à ma mère pour qu'elle en parle à Momo. J’ai même la chance de le voir en rentrant à la maison. " T'inquiète sœurette. " me dit mon frère aîné.

Le lendemain a six heures du matin. On tape très fort à la porte en criant :

" Police ! Ouvrez ! "

Ils réveillent toute la maison. Ils ont un mandat d'arrêt pour nous embarquer mon frère et moi au commissariat. Ma mère pleure encore plus fort frottant ses mains sur son visage et frappant ses hanches au fur et à mesure. Les flics crient pour qu'on sortent menottés, cernés et ce, le plus vite possible.

Les jeunes sont tous autour de la voiture et du fourgon des policiers. Par la rumeur, ils savent déjà le pourquoi, le comment.

Arrivés au commissariat, j'attends éloignée, de deux bancs, de mon frère Anis. Trois personnes, chacune très atypique, nous séparent. Je suis presque sereine pourtant de savoir que la police ne me volera pas mon frère Momo. Je l’aime tant. Je suis prête à mentir lors de ma déposition. Puis je pense à l'intégrité de papa. Je me sens sale bizarrement. Il n’apprécierait pas que je mente.

Que faire alors ? Je me sens d'un coup si jeune face à cette situation sordide. Écouter mon père ? Mon cœur, ma petite voix intérieure, m'en remettre à Dieu ? Je veux sauver mon frère à mes risques et périls, mon cœur a parlé.

" Manel Tichequine, veuillez nous suivre, s'il vous plait. "

Deux policiers me conduisent dans le bureau du commissaire. Il me prie de m'asseoir sur un ton très autoritaire, les yeux rivés sur l'écran de son d'ordinateur. D'un âge certain, le front luisant il porte de grosses lunettes à gros carreaux. Il daigne me regarder en posant enfin un oeil sur ma personne. Il s'adosse sur son fauteuil de bureau en skaï pourri, pour mieux me scruter, il me demande :

" Avant hier, dans la journée, avez-vous vu ou parlé avec votre frère Mohamed ? "

Même s'il parait nettement vouloir n'impressionner, je me sens maintenant étonnamment sûre de moi. Je vais mentir. Les liens du sang sont-ils plus fort que la loi ? Que l'intégrité de mon père ? Tiens ! Le commissaire sourit, sûrement pour me déstabiliser.

"Nous avons la vidéo du braquage avec votre frère dit "Momo" dessus. Donc je répète, quand l'as-tu vue pour la dernière fois ? "

Je ne réponds pas. Il est excédé.

"Bien, vous êtes en garde à vue à partir de maintenant et ce pour quarante-huit heure. On va vous lire vos droits."

Un policier me fait signer ma déposition de quelques petites phrases à peine sorties de ma bouche. Et voilà comment, je vais me retrouver en cellule. Je sors encadrée de deux policiers, menotée comme mon frère Anis qui se lève pour entrer dans le même bureau. Il me fait un clin d'œil. Lui, il est très fort mentalement. Il va la leur mettre à l'envers comme on dit dans ma cité.

" Alors toi tu vas parler, mon gars. Ta sœur est déjà en cellule. Manque Plus qu'un mandat contre tes parents et ta sœur direct au foyer. Vous étiez sous surveillance toi et tes potes. Voilà une photo de toi et Momo avant hier. "

" Votre photo est floue, je ne nous reconnais pas. C'est tout. J'ai rien à dire à part que je veux voir un médecin, un avocat et passer un coup de fil. " dit seulement Anis.

" Bon, ben ont va aller chercher ton père et ta mère pour parler de Momo "

Le commissaire a touché le point faible. Celui des parents, surtout la mère à choyer. C’est écrit dans le Coran. Anis va parler, c'est sûr mais il est très intelligent, je le sais.

" Alors, tu parles ? " Dit le commissaire.

Anis a déjà un plan dans la tête. Il va détourner l'attention du commissaire sur un autre type de délit. Il parle.

"En fait, je suis tombé sur franky, un gars de la cité. Il avait trop besoin d'argent. Il cherchait un petit vieux qui lui remplisse les poches. Franky on dit que c'est un beau gosse, normal pour être gigolo. Vous savez c'est pour payer sa dose chaque jour. C'est un toxico, plus de cent euros par jour. Alors j'ai des infos sur son dealer qui fait partie d'un réseau qui vient de prendre le pouvoir dans le quartier. J’en parle, vous laisser ma famille en dehors de tout ça." dit Anis fermement.

"Vas-y, balance, parle mon gars. On voit ce que tu as à me dire et je sors même ta sœur de cellule après. "

" Le mec dont je vous parle, on l'appelle " Le sablier ". Un gros poisson pour vos confrères de la BAC. On se dit, bonjour, vite fait. En fait, on le voit souvent chez Olive. Voilà, c'est lui le taulier. Olive est sa nourrice. C'est lui qui a la marchandise du jour chez lui. Il la redistribue aux grands pendant que les petits de dix à treize ans jouent les sonnettes. Ils surveillent l'arrivée de flics dans la cité pour cinquante euros par jour. J'ai tout dit. A vous de respecter vos engagements. "

" OK " dit le commissaire Chevron. " on vérifie l'info et on voit pour ta sœur et toi. "

Tout a été écrit. Ce policier rédactrice, assistante, pigeon l'emmène en cellule en attendant. Anis le sait, il a déconné en étant indic mais la famille, la famille, quel dilemme !

Ils ont trouvé la came chez la nourrice, Ils l’ont arrêté bien contents mais trop déçus de ne pas trouver "Le sablier ", le fameux taulier.

Ils nous ont relâchés de suite avec mon frère Anis. Ma mère pleure encore et toujours. On le regarde, on se méfie de lui, les gars d'en bas doivent sûrement se douter pour l'histoire de la nourrice. Anis reste auprès de sa famille, rien à foutre, tout pour son frère.

Momo se cache, on ne le voit plus durant quatre mois. La police attend encore des informations sur Momo et ses complices. Mais l'enquête est au point mort. Ma mère pleure encore. Ma sœur travaille enfin sur Paris. La petite est sérieuse à l'école.

Puis un jour, très tard, nous allons nous coucher et l'on entend frapper à la porte. On est resté marqué par la fameuse intrusion de la police ce matin-là. Mais quand même, non c'est autre chose, je le sens. Ouais ! Momo ! Mon grand frère ! Que d'émotions pour nous tous, même mon père l'accueille par un regard bienveillant. Ma mère pleure de joie cette fois ci.

« Papa, toi que je respecte, marre de la cavale. Il y un passage obligé. Je veux payer ma dette envers toi et la société. Je pars pour l'armée en Algérie. Je suis un homme dont tu seras fier. Je vais apprendre le respect de mon prochain dans mon pays d'origine et je reviendrai montrer l’exemple aux jeunes du quartier. Je veux devenir éducateur sportif. »

« Écoute fils, tu feras tes classes dans le recrutement, dans l'enrôlement de nouveaux soldats. C'est tranquille. Mais tu devras te débrouiller avec ton solde pour devenir l'homme que tu devrais être, pour ton avenir et non pour moi ».


LYNDA

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G
bouleversant, sans le noir c'est noir... . Et bien écrit...continue Lynda
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